Différentes postures épistémologiques et leur signification

Dans certaines recherches, des résultats contradictoires coexistent sans que leur validité soit remise en cause par les pairs. L’acceptation de données opposées dépend moins de leur conformité empirique que du cadre conceptuel retenu.

Des disciplines entières fonctionnent sur des critères de preuve qui varient, parfois de manière incompatible, d’une école à l’autre. Cette diversité n’est pas seulement tolérée, elle structure le dialogue scientifique et oriente les débats sur la légitimité des connaissances produites.

Pourquoi les postures épistémologiques sont au cœur de la recherche en sociologie

Dans le champ des sciences sociales, chaque projet de recherche s’ancre, qu’il le veuille ou non, dans une posture épistémologique précise. Ce positionnement n’est pas une simple formalité intellectuelle : il façonne les questions posées, les méthodes mobilisées, la façon même d’appréhender le réel. Très tôt, Dilthey pose le dilemme entre explication et compréhension, une fracture qui irrigue toujours la discipline. Max Weber, par exemple, place la sociologie compréhensive au cœur de sa démarche, s’intéressant avant tout à la signification que les individus donnent à leurs actes.

Ce choix entre garder ses distances, la fameuse posture objectivante, ou s’immerger dans le quotidien des acteurs, la posture participante, ne se réduit jamais à un détail technique. Il engage le chercheur dans une série de négociations, parfois inconfortables, entre exigence de neutralité et nécessité de comprendre de l’intérieur. Gaston Bachelard, avec la notion de rupture épistémologique, incite à rompre avec les évidences. À l’inverse, d’autres courants revendiquent l’implication du chercheur, qui doit alors accepter de s’exposer, de renoncer à la distance rassurante.

Résumons les grandes options qui se présentent dans ce débat :

  • Posture objectivante : le chercheur garde ses distances, cherche à repérer des régularités ou à généraliser ses résultats.
  • Posture participante : immersion dans le terrain, attention portée aux expériences singulières et aux points de vue multiples.

Ces lignes de partage traversent les équipes de recherche, suscitent des controverses vives, parfois même des désaccords durables. Certains voient dans l’objectivation un risque de trahir la réalité vécue ; d’autres accusent la participation de céder à la subjectivité. Prenons le cas d’un sociologue qui s’intègre dans un quartier populaire pour comprendre les logiques d’entraide : il devra sans cesse arbitrer entre implication personnelle et exigence d’analyse, quitte à se heurter à la méfiance de ses pairs ou à ses propres doutes. Cette tension irrigue la pratique de la sociologie contemporaine.

Entre positivisme, constructivisme et pragmatisme : panorama des principales approches

La pluralité des postures épistémologiques nourrit la réflexion en sciences sociales. Trois grands courants reviennent sans cesse dans les débats : positivisme, constructivisme et pragmatisme.

Du côté du positivisme, hérité d’Auguste Comte, l’ambition est claire : analyser les faits sociaux avec la rigueur des sciences exactes. Observer, quantifier, tirer des lois universelles. Durkheim, figure majeure, pousse cette logique jusqu’à rechercher des explications générales. Cette posture vise la neutralité, quitte à sacrifier parfois la singularité des situations.

Face à cette vision, le constructivisme développe une toute autre conception de la réalité sociale : ici, rien n’est jamais définitivement donné. Les faits sociaux se construisent dans l’interaction, à travers des négociations permanentes et des jeux de langage. Genard, Roca ou Escoda défendent cette approche qui refuse la simplicité des lois universelles et préfère restituer la complexité des parcours et des expériences.

Quant au pragmatisme, il déplace la focale vers les usages, les effets concrets, l’inventivité du quotidien. John Dewey inspire cette perspective qui s’intéresse avant tout à ce que font réellement les individus, comment ils ajustent leurs pratiques, comment ils contournent ou transforment les normes. Jean-Pierre Olivier de Sardan, en anthropologie, en donne une illustration saisissante sur les terrains africains, là où l’écart entre discours officiel et pratiques effectives devient une source majeure d’analyse.

Ce tableau synthétise les principales caractéristiques de ces courants :

Courant Focalisation Exemples de chercheurs
Positivisme Lois, régularités Durkheim, Comte
Constructivisme Construction du sens Genard, Roca, Escoda
Pragmatisme Effets, usages concrets Olivier de Sardan

Dans les laboratoires de Paris ou de province, ces courants cohabitent, se confrontent, parfois se croisent. Les débats sont vifs, les frontières poreuses, mais l’ensemble dessine une cartographie dynamique, où se négocient sans cesse les contours des sciences sociales d’aujourd’hui.

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Réfléchir aux enjeux éthiques et disciplinaires liés au choix d’une posture

Les questions éthiques traversent le quotidien des chercheurs en sciences sociales. Adopter une posture épistémologique ne se limite pas à choisir une méthode ou un courant théorique : cela engage la personne même du chercheur, ses responsabilités, ses arbitrages. L’observation participante, par exemple, peut exposer à des zones grises : jusqu’où aller dans l’implication ? Faut-il s’effacer pour ne pas influencer le terrain, ou assumer sa présence et ses choix ? Ce sont des dilemmes concrets qui surgissent dès que la frontière entre l’observateur et les observés devient floue.

La participation sociologique impose de réfléchir au « prix » de l’engagement : comment restituer fidèlement la parole d’un groupe sans la trahir, comment gérer la proximité sans perdre la rigueur analytique ? Les travaux de Burton Jeangros et de son équipe éclairent ces tensions, notamment dans des contextes sensibles où chaque prise de position peut avoir des répercussions inattendues.

Sur le terrain, les chercheurs se retrouvent face à des responsabilités très concrètes. Protéger les personnes rencontrées, gérer la confidentialité des données, affronter parfois des situations de violence ou de vulnérabilité : la démarche choisie influe directement sur la portée et l’impact de la recherche. L’ouvrage collectif dirigé par Jeangros, publié chez Armand Colin, insiste sur la nécessité de clarifier ses propres référents éthiques et d’anticiper les conséquences de ses analyses, aussi bien sur le plan politique qu’esthétique.

Voici les principaux enjeux qui jalonnent ce chemin :

  • Éthique de la recherche : préserver la confidentialité, obtenir un consentement éclairé, restituer le terrain de façon respectueuse.
  • Politique et esthétique : mesurer l’impact social du travail mené, réfléchir aux formes de restitution, choisir entre engagement et neutralité.
  • Prix de la trahison : tension permanente entre fidélité aux acteurs et rigueur analytique.

Loin des manuels ou des déclarations de principe, la réflexion éthique s’invite à chaque étape de la recherche. Elle vient bousculer les routines, questionner la légitimité des méthodes, voire pousser à abandonner certains matériaux. Il suffit d’un choix de terrain, d’un mot publié, pour engager bien plus que sa simple signature académique. D’une posture à l’autre, l’engagement du chercheur s’inscrit dans la durée et laisse des traces, parfois indélébiles.

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