Heutagogie : l’approche d’apprentissage autodirigé décryptée

Certaines universités australiennes accordent aux étudiants le droit d’élaborer leurs propres critères d’évaluation et de choisir les modalités de validation de leurs acquis. Ce fonctionnement bouleverse les principes traditionnels d’encadrement pédagogique et remet en question le rôle central de l’enseignant dans la transmission des savoirs. Des entreprises intègrent désormais ces pratiques, misant sur la capacité des salariés à identifier eux-mêmes leurs besoins de formation et à piloter leur montée en compétences. Malgré des résultats hétérogènes, cette méthode gagne du terrain, portée par la promesse d’une adaptation rapide aux mutations du monde professionnel.

Pourquoi l’autodirection change la donne dans l’apprentissage

L’apprentissage autodirigé bouleverse les équilibres établis. Là où l’on attendait des enseignants qu’ils dictent la méthode et le rythme, on voit l’apprenant prendre la main, choisir ses priorités et déterminer les marqueurs de sa réussite. Cette autodirection est le socle même de la heutagogie : née au départ pour les apprentissages adultes, elle s’étend parfois jusqu’aux plus jeunes.

Décider de sa progression, évaluer soi-même ses besoins et ses acquis : ces gestes déplacent le centre de gravité de la formation. L’apprenant arrête d’être le simple point de mire ; il devient conducteur, bâtisseur, juge de son évolution. À chaque étape, deux outils internes font la différence : la métacognition, cette précieuse capacité à analyser et ajuster sa manière d’apprendre, et la pratique réflexive. L’inspiration de l’autoformation, chère à Joffre Dumazedier, continue d’infuser, mais la heutagogie va plus loin : chaque personne façonne vraiment sa route, elle ne la suit plus simplement.

On ne peut plus ignorer la montée de la pairagogie. Dans ces logiques, le progrès se fait collectivement : groupes, communautés, entraide, échanges d’expérience. Les espaces numériques ont démultiplié ce phénomène. L’apprentissage collaboratif n’a jamais été aussi immédiat et ouvert.

Voici les différents axes au cœur de ces démarches :

  • Heutagogie : autonomie, responsabilité, questionnement sur son propre apprentissage
  • Autoformation : une approche actualisée à notre époque, influencée par Dumazedier
  • Pairagogie : collaboration d’égal à égal, circulation horizontale des savoirs
  • Numérique et plateformes : leviers puissants pour l’autoformation et le co-apprentissage

Ce sont d’autres contours du rôle d’apprenant qui se dessinent. Les paramètres pédagogiques classiques font place à des logiques où tester, explorer, s’auto-former s’imposent. L’élève ne reste pas au centre du dispositif : il propulse le mouvement d’apprendre de l’intérieur, réinventant la relation au savoir.

Heutagogie : origines, principes et spécificités de cette approche

Avec la heutagogie, on rebat les cartes de la formation. Stewart Hase et Chris Kenyon, les deux Australiens en question, posent leur cadre au début des années 2000. Mais leur démarche va plus loin que l’andragogie ou l’autoformation classique : ici, l’apprenant construit ses propres scénarios, invente ses démarches, confronte jusqu’au sens même de ses apprentissages.

Le concept distingue deux façons de progresser : apprentissage en simple boucle et apprentissage en double boucle (cette fois, selon Eberle et Childress). La première consiste à ajuster ses actes selon les résultats. La seconde fait tout basculer : c’est le processus en entier, voire même les valeurs personnelles, qui sont remis en cause. Cette mise à distance, ce regard sur sa propre façon de fonctionner, marque l’émergence d’une autonomie intellectuelle réelle.

La heutagogie se rapproche de l’approche par les compétences (APC), sans s’y réduire. Ce qui compte ici, c’est développer des aptitudes robustes, transférables, concrètes, capables de résister aux mutations du monde professionnel. L’action concrète, l’esprit d’initiative, l’autocritique sont mis en avant : c’est par l’expérimentation et le questionnement que l’on s’élève.

Pour situer clairement les repères qui traversent la heutagogie, voici quelques jalons :

  • Stewart Hase et Chris Kenyon : à l’origine de la formalisaton du concept heutagogique
  • Apprentissage en double boucle : pousser la réflexion jusqu’à transformer ses propres repères
  • Approche par les compétences : un complément, pour consolider les apprentissages sur le long terme

Groupe d

Comment l’heutagogie s’invite concrètement dans les parcours éducatifs et professionnels

Le numérique a changé la donne, et pas qu’un peu. Les ressources et plateformes en ligne font tomber les murs de la classe : chacun façonne son parcours, se fixe des objectifs modulables, expérimente différentes tactiques d’acquisition et évalue ses pas, seul ou en groupe. De France Université Numérique à d’autres plateformes, on ne parle pas seulement d’accès à du contenu, mais d’un environnement où chacun s’approprie son évolution.

Dans le supérieur, la heutagogie se concrétise à travers des dispositifs d’autoformation, la création de portfolios, la modularité des cursus. L’étudiant façonne l’itinéraire, décide des axes à creuser, met en œuvre l’auto-évaluation. Les enseignants, eux, agissent comme des soutiens, accompagnant le recul et la prise de conscience. Peu à peu émergent des communautés apprenantes où la pairagogie rayonne pleinement : l’intelligence collective devient tangible.

Voici quelques exemples observables de cette mutation :

  • France Université Numérique : référence centrale de la formation en ligne en France
  • Portfolios de compétences, parcours flexibles, auto-évaluations : l’adaptabilité s’impose
  • Pratiques collaboratives et réflexives : grande place faite à l’expérimentation et au partage

Dans la sphère professionnelle, la heutagogie circule sous plusieurs formes : blended learning, formation continue, dispositifs de développement des compétences. Les adultes prennent en main la définition de leur trajectoire, s’appuient sur des outils numériques, s’enrichissent au contact du collectif pour avancer plus loin. Autonomie et collaboration se croisent pour installer un mouvement de progression durable.

Aujourd’hui, alors que les métiers bougent et que les cadres anciens se fissurent, la heutagogie propose une alternative agile et féconde. Le désir d’apprendre ne relève plus du seul programme ni du cadre établi : c’est une matière première que chacun porte en soi, prête à s’activer à tout moment. Qui, désormais, peut prédire jusqu’où cette dynamique mènera les apprenants les plus audacieux ?

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